•    Deux fois par an, il fallait faire la grande lessive. Une douzaine de draps, deux ou trois couvertures, torchons, serviettes, bleus de travail, linge de corps, la liste était longue. Tout d'abord, faire tremper "le blanc" pendant trois jours puis le faire bouillir dans une immense lessiveuse; j'étais émerveillée devant cette géniale invention. Sous l'abri à cochon, je surveillais le feu, et vérifiais que l'eau savonneuse remonte par le tube central et arrose le dessus du linge à intervalles réguliers; et ce pendant trois heures. Ce principe était très efficace pour laver le lin et le coton, les matières synthétiques n'étaient pas encore très courantes.

       Le jour venu, on chargeait la charrette de linges trempés, bouillis et d'autres secs avec un repas froid préparé la veille. puis on partait de bonne heure pour aller au lavoir qui se trouvait à environ quatre km. Mon père prenait souvent sa bicyclette, car pendant que ma mère lavait, il allait à Sauveterre faire quelques achats.

       Le lavoir public se trouvait en pleine campagne, on dételait les vaches (ou le cheval ou l'âne nommé Bourguiba) on les attachait sur le bord du chemin, il y avait toujours de l'herbe à brouter. Au début, c'était la grande récréation, Simon et moi partions à la découverte des alentours, mais très vite j'étais estimée assez grande pour être de corvée de rinçage en amont et ma mère en aval, lavait, lavait... toute une journée durant, à genoux sur des vieux chiffons qui nous protégeaient un peu de la dureté de la pierre. C'était un travail éreintant. De temps en temps, j'avais le droit de me reposer un moment mais surtout la fête, c'était le repas de midi: œufs durs, saucisson, pâté, poulet froid, fruits; ça changeait de la maison avec la traditionnelle soupe au pain que j'ai toujours détestée. A l'école, j'avais appris que ça s'appelait un "pique-nique" et j'en profitais le plus possible, grimpant sur des saules qui étaient dangereusement penchés sur l'eau. Vers quatre heures, il fallait repartir et à la maison, mettre tout ça à sécher. Chacune au bout d'un drap, on les tordait pour les égoutter le plus possible, et comme le fil à linge n'était pas assez grand, on coiffait tous les buissons des alentours, ça donnait un air de fête.

     


       Un jour, à l'école, j'ai eu une rédaction à faire, le sujet était: "-Racontez une sortie en famille". J'ai raconté une de ces journées, qui sont pour moi, malgré le travail, de très bons souvenirs. Catastrophe! j'ai obtenu un trois sur vingt.

       Je ne suis pas sûre d'avoir une meilleure note aujourd'hui, mais je ne suis pas là pour ça, toutefois, je demande votre indulgence.

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  •    A un moment, nous avons eu un cheval; les jours de foire à Villefranche, c'est à dire une fois par mois; la charrette était chargée de diverses denrées à vendre, de nous-même et nous voilà partis de bon matin. Un km avant d'arriver au but, le cheval allait bon train, voilà qu'une roue s'enfonce dans une ornière, le poids du chargement fait casser un brancard, celui-ci fouette une patte arrière du cheval, sous le choc, il s'emballe... Il est impossible de maîtriser un cheval emballé, il faut attendre qu'il se calme. Pour l'instant, celui-ci se cabre, rue tant et si bien qu'il se libère de tous ses harnais et part au galop... La charrette se renverse dans un champs en contre-bas, avec nous et tout le chargement. Mon père se met à courir pour attraper le cheval, ma mère à courir en criant derrière mon père, Simon couché à plat ventre avec un sac de châtaignes en travers du dos et moi à moitié assommée par une citrouille.

       La situation était critique.

       Je me remets lentement de mes émotions, j'entends les plaintes de Simon, il ne pouvait plus bouger, les cinquante kg de châtaignes le laissait cloué au sol. Il me prie de l'aider à se dégager, mais malgré toute ma bonne volonté, je n'arrivais pas à faire bouger le sac d'un centimètre. Personne aux alentours susceptibles de nous porter secours. Enfin, à force de contorsions, il a réussi à se libérer. Nous étions saufs, assis sur le bord de la route, nous avons longuement contemplé le désastre.

       Arrivé sur le foirail, le cheval à bout de course, s'est arrêté de lui-même, il n'avait pas créé d’accident, et déjà des hommes l’avaient attrapé et demandaient à qui était ce cheval. Époque bénie, personne ne songeait à voler, si on trouvait quelque chose, on cherchait le propriétaire pour lui rendre son bien, besoin d’un service!, même pas besoin de demander, on venait vous aider et pas question de refuser.

       Mes parents sont revenus deux heures plus tard, accompagnés du cheval bien-sûr mais aussi du menuisier avec tout son attirail pour effectuer la réparation.

       Croyez-vous que ma mère nous ai demandé si nous avions quelques blessures? pas du tout, elle nous a engueulés parce que nous n’avions pas réuni le chargement; un sac de noix s’était ouvert, j’ai été chargée de les ramasser.

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  •    La propriété était morcelée, nous avions un petit bois situé environ à quatre km de la maison. Le bois s'appelait "le bois de l'homme", il était entouré d'autres parcelles de bois appartenant à divers propriétaires, dans d'autres régions on dit: forêt, mais chez nous c'était les bois.

       Pas facile de s'y retrouver mais quand on est né dans un endroit aussi isolé, on se repère à ce qui nous entoure et ici c'était les arbres. Les arbres, c'est comme les vaches ou les brebis, il n'y en a pas deux identiques. Il n'y a que les citadins qui croient que toutes les vaches se ressemblent.

       Au début, il y a un chemin, puis deux, puis ils se dédoublent et se recroisent, la seule solution pour s'y retrouver c'est d'apprendre les arbres, ce que j'ai fait avec délice. Certaines personnes sont capables de rester une heure devant un tableau de Van Gogh à observer et apprendre par cœur chaque détail. Moi, devant une toile j'y reste vingt secondes mais devant un vieil arbre! Oui, je peux y rester une heure, j'étudie chaque branche et cinquante ans plus tard, je ferme les yeux et il est encore là, majestueux, grandiose, et l'émotion est intacte.

       Au bois de l'homme, nous n'y allions pas souvent: à l'époque des champignons et l'hiver pour faire du bois pour la cheminée. Un jour, mon père faisait brûler des saletés; les saletés dans les bois c'est: brindilles, ronces, fougères, ajoncs et diverses végétations parasites. Ce nettoyage a pour but de permettre la repousse d'essences plus utiles. On ne mettait pas le feu partout comme on le voit à la télé, non, on coupait à la faux, au sécateur ou à la serpe, avec une fourche on portait tout ça dans une clairière et on allumait un petit tas que l'on alimentait au fur et à mesure.

    Il ne fallait en aucun cas brûler les arbres utiles: les châtaigniers, nous vendions les châtaignes, les autres, bien droits étaient vendus à la scierie, les tordus pour le bois de chauffage; pommiers, néfliers, merisiers et autres pour consommation des fruits.

       Mais ce jour là était un jour maudit, un traître vent s'est levé et le feu à échappé au contrôle. Je m'étais un peu éloignée à la recherche d'arbres faciles à grimper car le plus difficile était d'atteindre les premières branches, après rien ne me résistait. J'ai entendu crier, des cris inhabituels, je descends rapidement de mon perchoir et me dirige vers l'incendie qui faisait déjà vingt mètres de large. Simon était parti alerter les voisins et mes parents lutaient en fouettant les flammes à l'aide de genets verts. Moyens bien dérisoires, ce jour-là deux hectares ont brûlé. Je ne voyais pas ma mère mais je l'entendais crier: « -Sauve-toi, sauve-toi! » A ce moment là, j’ai vu mon père derrière un rideau de flammes: j’ai cru qu’il brûlait tout vivant, comme ma poupée.

       Je ne trouve pas les mots pour expliquer la terreur d’un pareil instant, je me souviens m’être figée comme une statue et mon souvenir s’arrête là, j’avais neuf ans.

       Toute ma vie, j’ai eu peur du feu et en septembre 2003, en visite au Portugal, quand j’ai traversé ces immensités carbonisées, je ne pouvais plus respirer, j’ai dû arrêter ma voiture et céder le volant, les yeux embués et une barre dans l’estomac. 

       Pour aller au bois de l’homme, il fallait passer par le lac cruel. En fait, ce lac n’était qu’une mare mais ne tarissait jamais même par grande sècheresse. Mais "cruel!" pourquoi ce nom?.

       Simon, qui aimait me faire peur, me racontait des tas d'histoires horribles, tout droit sorties de son imagination; bien sûr sur je ne le croyais pas, mais quand même! "lac cruel!" quels maléfices ces mots cachaient-ils?. Il bordait le chemin et en période de pluie les paysans devaient faire très attention à leur attelage.

    Pour ma part, je passais du coté opposé au cas ou j'aurais été happée par quelques sorcelleries, je n'y croyais pas vraiment mais ça ne coûtait rien de se méfier.

       Ce lac était entouré de buissons et en parti recouvert d'une végétation d'eau que je ne connaissais pas car il n'y en avait pas d'autres dans les environs, ce qui ajoutait du mystère. De temps en temps, quand personne ne pouvait me voir, j'y jetais quelques pierres qui faisaient un "plouf!" normal ou j'y trempais de longues branches qui n'ont jamais été englouties.

       Percerais-je un jour le mystère du lac cruel? .

     

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  •    Le tabac: La culture du tabac était très contrôlée par je ne sais quel organisme nous recevions un certain nombre de plants et un contrôleur passait de temps à autre pour vérifier si nous ne dépassions pas le quota.

       C'était beaucoup de travail, planter au plantoir à main, puis désherber, buter, ébourgeonner (enlever les bourgeons qui poussaient à chaque feuille); quand la plante avait une certaine taille, après une dizaine de feuilles, couper la tête pour empêcher la floraison et ainsi faire grossir les feuilles. A l'automne, couper les pieds qui faisaient environ 1,50m et les installer dans les hangars pour les faire sécher. Par un système de ficelles et crochets, on pendait les pieds de tabac la tête en bas sur 5m de hauteur à 15cm les uns des autres. Il fallait aérer, surveiller, ça sentait bon. En hiver, quand c'était sec, on devait effeuiller, trier les feuilles; milieu, basses, hautes, courtes et longues et aussi par couleur.

       Ensuite faire les "manoques": 24 feuilles à la base serrées entre le pouce et l'index de la main gauche et avec la 25ème feuille roulée, attacher-le tout en formant une rosette. C'était tout un art... Cela nous occupaient de nombreuses soirées et faisions entre nous des concours de la plus belle manoque. 

       Les châtaignes: L'été, il fallait faucher (à la faux) les fougères et autres plantes qui poussaient dans les châtaigneraies, ainsi propre, l'automne venu, on ramassait les châtaignes avec des pinces en bois faites maison.

    Ces pinces ont été fabriquées par Pépé au printemps dernier: Il a choisi de belles branches de châtaignier, d’environ 6 à 8 cm de diamètre, il les a coupées à 80cm de longueur et dans l’épaisseur, il a supprimé presque la moitié. Cette grosse moitié restante, il l’a pliée en deux et a attaché les extrémités. Le bois en séchant prend une forme courbée, il ne reste plus qu’à lisser et tailler les pointes.

    Ensuite le soir, on les triait sur la table avant d'en faire de beaux sacs que nous portions à la foire. Simon et moi avons fait plusieurs fois l'expérience: du producteur au consommateur. On soulevait un coin de peau d'une châtaigne, avec un petit canif on creusait un trou. Dans ce trou on glissait un papier roulé sur lequel on avait écrit un petit message avec notamment le prix de vente et notre adresse. Nous avons reçu plusieurs réponses et notamment des enfants de La Rochelle, avec lesquels nous avons correspondu un certain temps. C'était déjà comme aujourd'hui, le prix d'achat était le quadruple du prix de vente. Nous étions scandalisés. 

    Ah les châtaignes! Nous en mangions tout l'hiver. Pour les conserver nous faisions de gros tas sous les châtaigniers de feuilles, bogues et châtaignes avec un râteau. L'hiver venu, il suffisait de creuser un peu au pied des tas pour trouver de bons fruits bien conservés... 

     

    12 Les travaux des champs

     

     

    Le blé: La terre était labourée avec un double brabant attelé à deux vaches. Les bœufs étaient plus puissant bien sur mais les vaches avaient l'avantage de nous faire un veau tous les treize à dix huit mois. Quand la terre était labourée et hersée, le grain était semé à la main, à la volée avec un grand panier pendu au bras gauche. Puis on ne s'en occupe  plus jusqu'aux moissons. Là, avec la faucheuse attelée aux vaches, mon père faisait des aller-retour puis un voisin venait avec une botteleuse, machine qui balayait le blé, et le liait en botte avec deux ficelles. Bottes entreposées à l'abri. On attendait le passage de la "dépiqueuse" , énorme machine qui avait du mal à arriver dans la cour. Un gros tracteur de marque "société française" la faisait fonctionner avec un système de grosses poulies. Le tout faisait un bruit assourdissant. Naturellement les voisins aidaient. Un homme jetait les bottes de blés sur la plate forme, un autre coupait les ficelles, un autre étalait le blé et le poussait vers les mâchoires de l'engin, c'était très dangereux et nous avons connu un homme qui s'était fait arracher le bras. Plus loin, la paille délestée des épis était à nouveau bottelée et liée, les grains criblés tombaient dans des sacs. Ca durait toute une longue journée qui finissait par un bon repas. 

       Le vin: En dehors d'entretenir la terre pour lutter contre les mauvaises herbes, en février il fallait tailler la vigne, récupérer et botteler les sarments qui servaient à allumer le feu, en été il faut attacher les nouvelles pousses, épamprer et aussi vaporiser un produit contre les maladies avec un gros bidons en guise de sac à dos, muni d'une petite pompe. Fin septembre: les vendanges, puis écraser les raisins dans la grosse cuve en bois et les laisser fermenter. Deux fois par jour, une personne allait dans la cuve, piétinait le "mou" pour le remuer, opération risquée à cause des émanations, il fallait mettre, de temps à autre, la tête au dehors pour respirer de l'air frais. Quand la fermentation est finie, (deux à trois semaines), tirer le vin par le robinet au bas de la cuve, en remplir les barriques préalablement lavées. Ma mère, par souci d'économie, versait quelques seaux d'eau dans le mou et pendant quelques semaines, on buvait ce breuvage nommé "la piquette". 

       La résine: Dans les bois, il y avait des pins qui n'étaient par forcement tout près les uns des autres, il fallait d'abord faire des petits sentiers à coup de serpe d'un pin à l'autre en calculant le circuit de manière à visiter le plus grand nombre de pins possibles avec un minimum de pas. Fixer sur chaque pin un morceau de fer arrondi, dessous, un clou et coincer entre les deux, un petit pot. Avec une sorte de grattoir, faire une entaille pour enlever l'écorce et pulvériser sur ce bois à nu, un acide spécial. Une semaine plus tard, re-entaille au-dessus de l'ancienne plus re-acide. Après trois passages, faire la tournée avec un seau et une spatule pour vider les pots. Et ainsi de suite toute la saison printanière. Un négociant nous fournissait des grands fûts en fer, numérotés et entreposés sur le bord de la route et chaque producteur remplissait ses fûts. Ainsi, de longs mois plus tard, on recevait un mandat. 

       Et ce n'était pas tout. Il fallait faire les foins: couper à la faucheuse (avec les vaches), puis faner, râteler et engranger à la fourche (faute de matériel).

       Comme ressource, il y avait les cèpes, mais c’était assez aléatoire, il n’y a pas de bonnes productions chaque années.

       Autres cultures: Maïs, topinambours, choux raves, pomme de terre, seigle, orge, choux à cochon; les haricots qu'on faisait grimper sur le premier rang de maïs; j'en oublie... Et puis un grand potager. 

       C'était le bagne!... Mais les paysans étaient fiers car:

    "-Il n'y a pas de patron pour nous commander". Franchement, j'ai toujours préféré avoir un patron qui me commandait et travailler moins.

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  •    Nous nous nourrissions beaucoup avec ce qui était produit à la ferme. Nous achetions le sel, poivre, huile, macaronis, vermicelle... produits de base et quelque fois, boite de sardine, morue salée, un pot au feu, une bouteille de menthe etc... Tout le reste était produit à la ferme ou troqué avec les voisins, surtout les fruits et les légumes, chacun ne cultivant pas exactement les même variétés, cela permettait d'avoir des produits frais échelonnés sur presque toute l'année. 

       Il y avait le blé: la récolte était dans des sacs que mon père portait sur son épaule. La charrette chargée, nous allions porter ce blé chez le boulanger qui s'appelait Soulié, il pesait les sacs, examinait la qualité et nous donnait des bons. Un bon valait un gros pain de quatre kg. Une fois par semaine, il faisait la tournée, nous avions installé une caisse en bois clouée contre un arbre au bout du chemin, près de la route. On mettait les bons coincés par une pierre, et il y déposait les pains, Personne ne songeait à nous voler ni bons ni pains, au contraire si quelqu'un passait par-là, il nous apportait notre pain frais. Sauf peut-être les romanichels mais ils venaient rarement dans ce coin perdu. 

       Nourrir tout ces animaux; il y avait des lapins, poules, poulets, pintades, canards, rarement des oies et des dindes; c'était beaucoup de travail matin et soir. Moi, j'aimais les bêtes, et du plus loin que je me souvienne, je suivais ma mère dans cette tâche et lui posais des tas de questions. Quand on mettait une lapine dans la cage du mâle, je crois que j'ai toujours su à quoi ça servait. L'éducation sexuelle était ainsi faite sauf que j'ai cru pendant très longtemps que les femmes étaient enceintes à chaque fois, car chez les animaux, ça ratait rarement. 

       A onze ans, je savais attraper, tuer, plumer et faire cuire un poulet; ce n'est pas que j'en sois fière; C'était aussi naturel que de cueillir des pommes. Il y avait une espèce de canards destinée à rôtir et une autre pour faire du foie gras. Pour gaver, les canards étaient installés dans une étable dans le noir, deux fois par jour, ma mère préparait une pâtée faite avec du maïs, du son, de la vieille graisse de porc rance et toute sorte de restes alimentaires; elle entrait dans l'étable, et là, assise sur une caisse creuse, elle coinçait le canard entre ses cuisses, lui enfilait dans le gosier une sorte d'entonnoir long de vingt centimètres muni d'une manivelle qui poussait la pâtée dans le jabot. C'était tout un art, il ne fallait pas les blesser car s'il mourait, c'était de l'argent perdu: on ne consommait pas les animaux morts, autrement que tués par nous-mêmes. Ils restaient ainsi enfermés, avec seulement de l'eau à volonté, à dormir pendant vingt à vingt cinq jours. Au bout de ce temps, ils étaient bien gras, il fallait, le premier jour: les tuer, les plumer, les nettoyer, les attacher et les pendre par la tête; le deuxième jour: les dépecer le matin, partir le vendre les foies, l'après-midi (c'était une rentrée d'argent importante); le troisième jour: faire cuire dans un énorme chaudron en cuivre pendant plusieurs heures;.Puis mettre les beaux morceaux confits dans des "toupines" (grands pots en grès) recouvrir de graisse filtrée, faire stériliser les ,"graoutous" (rillettes) dans des bocaux en verres et le reste, c'est à dire, les carcasses, elles étaient consommées plus rapidement. Les confis étaient, et sont encore, des plats de luxe, réservés pour les grandes occasions, le foie gras, trop cher, était tout vendu sauf s'il était de trop mauvaise qualité car il y a des canards, comme des humains, qui peuvent manger des tonnes sans jamais grossir. 

       Tous les ans, en hiver, on tuait le cochon âgé de dix à douze mois. C'est un animal un peu méprisé et c'est dommage, il est très sociable, gentil et les truies sont des mamans extrêmement attentionnées et affectueuses avec leurs bébés. En général, nous n'avions pas de truie; nous achetions un petit cochon d'un mois ou deux. On faisait pour le nourrir, cuire des aliments dans une grande marmite d'au moins un mètres cinquante de hauteur. Un mélange de betteraves, topinambours, choux-raves, petites patates et épluchures diverses. Cette cuisson avait lieu dehors, sous un abri, une fois par semaine. Ma mère ajoutait quelques pommes de terre sur le dessus qui nous étaient destinées, c'était, disait-elle, une économie de feu donc de bois. L'odeur était écœurante et je mangeais avec dégoût quand je ne pouvais pas éviter de manger. J'ai horreur des "pommes de terre en robes des champs" rien que d'y penser, j'ai l'odeur de la marmite à cochon qui me poursuit. S'ajoutait à son régime, du son, feuilles de maïs, des choux, des pommes etc. Bien engraissé, on réunissait des voisins à cette occasion et le meurtre avait lieu. 

       Quatre hommes le prenaient chacun par une patte, un long couteau enfoncé dans son cou, une femme récupérait le sang dans une bassine. Son cri strident retentissait des lieues à la ronde, ses couinements aigus et plaintifs, semblaient dire: pitié-pitié-pitié. Toute petite, j'avais très peur, cachée pour ne pas voir, les mains sur les oreilles pour ne pas entendre, mais c'était plus fort que moi, la curiosité l'emportant, je regardais, j'entendais...

       Ensuite il était rasé, décrotté, rincé dans une grande auge, puis, pendu tête en bas sur une échelle, là, on l'ouvrait en partant de l'anus jusqu'au cou et toutes les entrailles tombaient dans un récipient, ça faisait un drôle de "floc" et l'odeur!... Croyez-moi, c'était un vrai traumatisme pour les enfants. Car contrairement aux volailles, la taille du cochon faisait penser à un être humain et son cri à celui d'un enfant.

     

       Mais c'était la fête pour les adultes, les hommes en profitaient pour apprécier le vin de l'année et les femmes avaient beaucoup de travail. Une partie du sang était consommée tout de suite, mélangée à des oignons, c'était la "sanguette fricassée". Puis venait une semaine de travail harassant. Nettoyage des boyaux, des pieds de la tête, tout est bon dans le cochon: boudins, saucisses, saucisson, pâtés, fromage de tête, "graoutous", jambons et lard au sel, rôtis cuits en bocaux, queue et pieds en saumure etc... Le chaudron en cuivre était encore sollicité.

       Les "toupines" remplies, on pouvait affronter l'année.

     

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  •     Nous avions une voisine, Adrienne Bayle, elle était une femme-enfant, incapable de prendre une décision seule, toujours à quémander l'approbation des autres. Elle était fille unique, ses parents étaient probablement riches, (riches mais avares), car dans ses bâtiments, il y avait une grosse voiture des années 1940, cachée sous une bâche, un délice pour les collectionneurs. Ses parents sont morts dans les années 50, elle s'en n'est jamais remise. Quand je l'ai connue, elle était "toute seule avec son Guynou" (disait-elle). Elle était divorcée, dans ces années-là, c'était une tare, un très grand déshonneur. Mais elle avait son permis de conduire et possédait une 4 chevaux renault. 

    Je me souviens d’un rapide voyage à Lourdes que nous avons fait, Adrienne, ma mère, Guy et moi dans la petite auto. Visites de la Basilique et naturellement de la grotte. Comme je l’explique dans « La dame de l’église », je n’étais pas une grande assidue de la religion aussi, l’apparition éventuelle de la Vierge me laissait sans effets. Munis d’un cierge, dans une queue de 200 mètres pour accéder au rocher,  la plupart des gens priaient, moi, j’avais mieux à faire: je regardais le personnel vaquer à leur travail. C’est là que j’ai découvert leur supercherie: devant la Vierge, on pouvait allumer le cierge et le déposer devant. En théorie seulement car  le support des cierges étaient toujours rempli et on priait les pèlerins de déposer leur bougie sur un chariot, il serait allumé plus tard. Un homme est venu chercher le chariot plein, aussitôt remplacé par un vide. Où est allé le chariot plein ?  Juste à côté des vendeurs… Ainsi le même cierge était vendu des dizaines de fois, c’était fait si ouvertement que personne ne le remarquait. Enfin, après un temps d’attente infini, nous arrivons près du rocher où coule une eau claire, fraiche et limpide: la bonne eau des Pyrénées.  Ma tête, toujours en rêveries, fut brusquement enfermée dans un étau qui m’a obligée à poser mes lèvres sur le rocher humide. Un femme inconnue me tenait prisonnière et m’intimait d’ordre d’embrasser le « Saint endroit ». Quand elle m’a enfin lâchée, je l’ai longuement fusillée du regard ! De quoi se mêlait-elle cette morue !!! Ma mère elle-même ne m’aurait pas ainsi humiliée, je la cherchais du regard, elle n’avait rien vu…

       Son fils, Guy Dantonny, avait deux ans de moins que moi, il a était le compagnon de mes jeux d'enfants, c'est avec lui que j'ai joué au papa et à la maman. Nous nous donnions quelque fois rendez-vous pour aller ensemble à l'école et les secrets allaient bon train. Nous nous retrouvions aussi dans les bois et les champs, car il gardait, lui aussi, une quinzaine de brebis toujours très maigres, car sa mère avait peur de tout, qu'il se perde où qu'il se blesse; donc il rentrait trop tôt, les brebis ne mangeaient pas suffisamment. Moi au contraire, je traînais toujours, profitant de cette liberté hors du regard et des reproches de ma mère. Je tentais de lui apprendre mon amour pour les arbres. Il mettait de la bonne volonté pour me plaire, mais à peine à deux mètres de hauteur, il redescendait en disant: « -Si ma mère me voit, elle va me gronder ». Sa mère le grondait, la mienne m'engueulait, ça faisait une grande différence. 

       Le gros problème, c'était qu'il ne fallait pas mélanger les troupeaux, ça les excitait ce qui les empêchait de manger et pour les séparer, c'était la croix et la bannière. Très occupés à nos jeux, je les ai perdues souvent, heureusement la chienne m'aidait à les retrouver et elles sont souvent rentrées seules à la maison: elles connaissaient tous les chemins. Mais le plus sérieux, c'était de les retrouver dans un champs de blé ou de maïs des voisins. C'était très grave, il fallait que les parents aillent présenter des excuses. On respectait le bien d'autrui.

    Ma mère avait eu bien du mal à acquérir un troupeau de brebis. Avec mon père de plus en plus souvent malade, il était bien difficile de produire de quoi vendre pour avoir des revenus. Elle avait rencontré un négocient qui lui a fourni une quinzaine de brebis et un male, lui, il en restait propriétaire et elle était payée pour son gardiennage chaque année en agnelles. Ainsi, au bout de quelques années, elle a eu un beau troupeau bien à elle et pouvait enfin vendre quelques agneaux… 

     Ceci me rappelle une histoire que j’ai entendue je ne me souviens plus où: Une femme avait été gravement blessée en sautant d’un talus pour échapper au bélier qui avait décidé, ce jour-là, de la charger. Elle avait un nourrisson d’à peine trois semaines. La famille décida donc de lui donner des biberons de lait de vache, lait unanimement utilisé pour remplacer le lait maternel. Mais le bébé ne supportait pas ce lait, il rendait tout et dépérissait. On décida alors de lui donner du bouillon de carottes, il le supportait bien mais ne grossissait pas et même maigrissait toujours. La famille était au désespoir ne connaissant pas de nourrice dans les environs,  lorsqu’une très vieille femme, toute petite et menue, marchait pliée en deux avec sa grosse bosse dans le dos. Elle examina le nouveau-né et en levant son bâton s’écria:

    - Mais bonsoir de bonsoir, il n’y a pas d’autres laits dans les environs? : du lait de truie, de chèvre, de brebis ou d’ânesse ? … Donnez-lui du lait de n’importe quoi…. Alors on lui donna du lait de chèvre qu’il refusa mais accepta le lait de brebis.

    L’enfant avait failli mourir à cause d’un bélier mais fut sauvé par les brebis.  

     

     Guynou était très gâté, il obtenait de sa mère tout ce qu'il voulait, il s'ennuyait ferme et me demandait souvent d'aller chez lui, mais convaincre ma mère n'était pas simple, alors Adrienne intervenait elle-même, disant à ma mère qu'elle avait besoin de moi pour divers travaux, ma mère n'était pas dupe mais elle aussi demandait parfois de l'aide. Alors Guy et moi montions dans la 4 chevaux et nous allions à Villefranche, Sauveterre et parfois à Villeneuve mais là, il fallait partir le matin. Ils avaient des connaissances là-bas et nous mangions chez eux. C'était pour moi une grande sortie, l'allais rarement manger chez des gens, et je ne savais pas bien me tenir, mais Adrienne n'était pas très fine non plus, elle mastiquait la bouche ouverte alors j'oubliais bien vite, d'autant plus qu'il y avait un garçon de notre age et, accroupis dans un coin, nous nous racontions quelques secrets. 

       Un jour Guy était absent à l'école, le maître me demande d'aller voir pour en connaître la raison. Je vais donc chez lui, en effet, il était très malade, trempé de sueur sous un tas d'édredons, il avait presque 42° de température, un gros mal au ventre, le docteur était venu, Adrienne se tordait les mains. Plus tard, j'ai appris que le docteur voulait le faire opérer d'urgence de l'appendicite mais sa mère a refusé prétextant qu'il préparait son certificat d'étude et qu'il se ferait opérer après l'examen. Par malheur pour lui, le docteur a cédé. Une semaine après, il allait beaucoup mieux et a repris l'école. Mais de temps à autre, il avait mal au ventre. Alors sa mère a consulté une guérisseuse-rabouteuse-sorcière qui lui prescrivait des tisanes à base de "plantes rares" donc très chères, tous les mois ils allaient à sa consultation et Adrienne se délestait de beaucoup d'argent. Ça a duré cinq ans.

           

    Ces pratiques paraissent aujourd'hui aberrantes, à cette époque, elles étaient extrêmement courantes.   Quelques années plus tard, j'habitais à Prayssac dans un petit appartement avec mes parents. Voilà qu'arrivent Adrienne affolée et Guynou plié en deux, ils avaient consulté un vrai médecin qui lui a prescris une analyse de sang en urgence et il venait se reposer chez nous en attendant le résultat. Nous l'avons fait coucher dans mon lit, il souffrait terriblement. Le résultat a été si inquiétant que le docteur lui-même est venu l'annoncer, accompagné d'une ambulance, il fallait opérer en extrême urgence.

     

    A la clinique de Villeneuve, il a été opéré trois fois en quinze jours, puis il est mort, empoisonné par une appendicite-péritonite à l'age de dix sept ans. Pauvre Adrienne, elle est restée encore trente ans avec, non seulement le chagrin de la disparition mais aussi le remord pour l'avoir provoquée.

       C'est peut-être pour ça que j'ai une grande méfiance à l'égard des médecines dites "douces". 
       Le Guynou avait reçu (?) un don, le don d'arrêter le feu, d'une vieille femme qui n'avait pas d'héritier. Au début il n'osait pas l'utiliser mais un jour, un chien c'est brûlé avec une braise de châtaigner qui lui a sauté sur le cou. Sans hésiter, Guy a fait le nécessaire pour arrêter le feu sur ce chien qui s'est calmé immédiatement. Ensuite, il pouvait sans crainte l'utiliser sur les humains, je n'ai jamais eu l'occasion de vérifier ce savoir.

     



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  •     Ma tante et mon oncle, Angélina et Alban, ont quitté Bordeaux pour s'installer à Villefranche, un petit trois pièces au centre ville.

       En souvenir de mon séjour à Bordeaux, ma mère ne manquait pas, chaque fois que c'était possible, c'est à dire les jours de foire à Villefranche s'il n'y avait pas école, de m'envoyer les saluer en me faisant des tas de recommandations, politesse etc... Je ne risquais pas d'être impolie car j'étais extrêmement timide envers les gens que je ne connaissais pas, je ne me souvenais pas de mon séjour chez eux, lorsque j'étais petite.

       Ils m'impressionnaient, lui, à cause de sa jambe de bois et elle, elle avait une petite voix douce. Ils étaient très contents de ma visite, j'avais droit à quelques biscuits et ils m'ont invitée à passer quelques jours chez eux, pendant les vacances.

      C’était pour moi un grand évènement, je ne me souvenais pas avoir dormi ailleurs que chez moi, j’étais toute tremblante, et malgré les conseils de ma mère, je ne savais pas comment me tenir. Alors je restais sagement assise sur une chaise et je les observais. J’avais pour seul exemple de couple que mes parents: ma mère criait, mon père se taisait. Je ne savais pas qu’il existait d’autre mode de fonctionnement et j’en faisais l’expérience. Leurs deux personnalités étaient tellement imbriquées, qu’on aurait cru que les deux ne faisait qu’une seule personne. Ils ne se séparaient jamais, même pour un bref instant, allaient partout ensembles, faisait tout ensemble. Quant l’un balayait, l’autre    prenait la pelle, l’un épluchait les légumes, l’autre les lavait, ils faisaient le lit à deux, lessivaient à deux,.. tout... tout et tout le temps. Parfois ils n’étaient pas du même avis, mais ils ne se disputaient jamais; ils se faisaient ‘la tête’ c‘était sans doute plus élégant. Pour éviter de se parler, se faisaient des gestes; ça ne durait pas bien longtemps mais ça les prenaient souvent. Je ne m’apercevais de rien et je pensais que ça devait être çà ‘l’amour’. Assise sur ma chaise, je ne bougeais pas, ils s'inquiétaient un peu et me disaient: « -tu ne t’ennuies pas? ». Non, je ne m’ennuyais pas, j’étais comme au théâtre car en effet, leur vie était théâtrale. Le plus surprenant (pour moi) c’est qu’ils s’embrassaient tout le temps, des baisers partout, les mains, les bras, le visage, les lèvres...

     

     J’avais déjà vu quelques jeunes gens amoureux mais des gens de l’age de mes parents, j’étais effarée, stupéfaite, je ne trouve pas de mots adéquats. Je pensais, dans ma petite tête d’enfant, que ce devait être ça, l’idéal de l’amour.

       Aujourd’hui, avec le recul de mon age, je pense que cette expérience, si l’on peut dire, a influencé ma vie affective. Je l’ai longtemps attendu ce prince charmant qui m’aimerait à chaque instant! Mais... où était-il?.

       Je sais aujourd’hui que leur vie n’était pas si idyllique, ils étaient... comment dire... très névrosés, mais l’enfant que j’étais ne le savais pas.

       Dix ans plus tard, Angélina est décédée. Mon oncle, fou de douleurs, n’a pu se résoudre à rester seul, quelques mois plus tard, il a épousé une femme recrutée spécialement par petites annonces. Hélas, avec cette deuxième épouse, l’osmose n’a pas eu lieu et il est mort de chagrin un an après Angélina. Sa deuxième femme, qui ne s’intéressait qu’à sa pension de guerre, n’a même pas eu la délicatesse de le faire enterrer là où il avait prévu: près d’Angélina, et n’a pas non plus prévenu sa famille. 

       C’était une coutume, les tantes s’occupaient de leurs nièces, elles devaient leur apprendre ce que les jeunes filles doivent savoir, les mères n’osaient peut-être pas aborder certains sujets. A cet effet, je devais me rendre régulièrement chez tante Louise, sœur de ma mère. Celle-ci avait fait un ‘beau mariage’ c’est à dire que son époux avait une grosse ferme. A 1h30 à travers bois, j’arrivais à "Lacour", commune de Sauveterre. Ma cousine, prénommée Germaine, qui avait l'age de ma sœur, s'occupait de moi et je dormais dans sa chambre. Pour que je ne m'ennuie pas, elle invitait une petite voisine qui était naine. Au début, je lui parlais comme à un tout petit enfant mais elle m'a fait remarquer que nous avions le même age donc je pouvais lui parler normalement. C'était la première fois (mis à part mon oncle) que j'avais un contact avec une personne physiquement différente. Elle était assez cultivée et cette rencontre m'a été très bénéfique, j'en garde un excellent souvenir.

       J'ai eu une autre tante, Maria, qui n'avait pas d'enfant et à la fin de sa vie, elle a eu un cancer. Elle était veuve; ne voulant pas "finir à l'hôpital" elle est venue chez nous. Elle souffrait terriblement et délirait. Elle voyait des chats partout et elle me demandait de les chasser. Je ne comprenais pas que l'on puisse voir quelque chose qui n'existait pas. Pour une fois ma mère m'a bien expliqué et je me suis exécutée de bonne grâce; Je priais les chats imaginaires d'aller chasser les souris dans le grenier. Le docteur venait de temps en temps, lui faisait une injection de morphine, elle se calmait quelques heures. Elle est nous a quitté quatre mois plus tard, dans d'atroces souffrances. C'est là que j'ai compris que la mort pouvait être un soulagement.

    Un autre jour, à Lafageole,  j'étais seule à la maison et j'entends le bruit d'une auto. C'était tellement rare que je me précipite dehors.

    Je vois une quatre chevaux Renault s'arrêter dans le chemin, la même que ma voisine Adrienne mais en plus rutilante encore! Au volant, une très jeune fille et deux autres personnes plus âgées, je ne connaissais pas, vêtues, me semblait-il d'un grand chic!

    Je n'osais plus bouger, la dame plus âgée vient vers moi me dire bonjour et me dit:

     - Je suis ta tante Marie...

     Je savais qui elle était: c'était la plus jeune sœur de ma mère. J'en avais beaucoup entendu parler, elle vivait en Algérie. Mon frère André avait fait son service militaire tout près de chez eux, il avait eu la chance, par rapport aux autres soldats, d'être “dorloté” par la tante.

     Ma cousine Christiane devenue institutrice a travaillé toute sa carrière à Caen (Calvados) puis et à la retraite est revenue dans la région d'origine de son père: Pyrénées Orientales.

     Nous nous sommes longtemps demandé comment cette tante avait rencontré son époux qui vivait si loin de chez nous.

     C'est le 09 avril 2011 que j'ai trouvé la réponse.

     En effet c'est ce jour-là que nous avons fêté dans la joie et la bonne humeur les 100 ans de Marie à Sainte Marie La Mer (66).

     Réunion familiale au restaurant puis réception en grandes pompes (avec la presse locale) à la maison de retraite où elle réside, le maire nous a expliqué:

      Pour échapper aux travaux agricoles, Marie a rejoint Bordeaux pour être ‘‘bonne à tout faire’’ dans une famille bourgeoise de la viticulture qui l'a emmenée en Algérie pour garder leurs enfants. Et c'est là qu'elle rencontre le jeune et beau Julien, gardien de la paix, qui deviendra mon oncle.

     



     

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  •    Simon a été un petit garçon intrépide et casse cou, un " Mac Gayver"en herbe. Ma mère était désespérée d'avoir un enfant si turbulent, têtu et imperméable aux punitions. Il n'en faisait qu'à sa tête et sa tête fourmillait d'idées toujours plus originales. Quand il avait fait une bêtise, ma mère qui avait renoncé à le poursuivre, lui disait: « -t'a traparaï à là choupo! -je t'attraperais à la soupe ». Souvent elle oubliait mais parfois, à table, Simon recevait un coup de louche ou de tout autres objets. 

       Il avait inventé un jeu qui consistait à ''faire des sauts en parachute'', sans parachute il va de soi, : il grimpait sur une "codre" qui est une repousse de châtaigner. A 8 ou 10m de haut, l'arbre pliait et lorsque ses pieds étaient à 2m du sol, je devais dire: "lâches". Ainsi il sautait et faisant un roulé-boulé en dégringolant le talus. Un jour, j'en avais assez de ses ordres, j'ai dit "lâches" beaucoup trop tôt, il a pris une très grosse gamelle, il avait du mal à se relever; prise de peur, je me suis enfuie à la maison. 

       Il se gardait bien de se vanter de ses exploits. Un jour; mes parents étaient absents, il a pris le fusil de mon père et a décidé de faire un ball-trap. Munie d'une vieille bassine, perchée sur un tertre, je devais la jeter en l'air et Simon tirait dessus un ou deux coups selon comme elle était haute. Il va sans dire que je me trouvais en première ligne, mais le drame n'a jamais eu lieu. J'ai été chargée d'enterrer la bassine et les cartouches vides avant le retour des parents.

       Car, quand il s'ennuyait, j'étais son souffre douleur et sa domestique. Souvent, pour me punir, je devais chercher des petits cailloux bien ronds pour sa fronde; il allait jusqu'à me faire avaler un ver de terre et il ajoutait: « -Un ver de terre est un délice pour les jolies poulettes ». Quand il dépassait vraiment les bornes, je lui disais: « -Je vais dire à maman que tu m'as fais mal aux hanches! ».Le retour du mal aux hanches était une obsession pour elle, elle se mettait dans de furieuses colères et lui tapait dessus avec n'importe quoi. Mais j'évitais d'en abuser et en usais seulement dans les cas graves. Il inventait des chansons avec des paroles qui étaient censées me terrasser, l'une disait:  "-Tu n'es qu'un maillon de la chaîne  -Un moment de vie ou de mort  -Un moment ou je t'enterre et c'est fini...".    

      Il était passionné par la mécanique et chaque fois qu'il avait l'occasion de voir une auto de près, il harcelait le propriétaire de questions. Un jour, après avoir réuni un grand nombre d'objets et matériaux hétéroclites, il a décidé de construire -sa- voiture. Il y a passé plusieurs mois mais tout y était: pédales, volant, levier de vitesses, de freins, le rétro était fait avec un couvercle de boite de conserve cloué sur une tige en bois et, sous un sommaire capot, un enchevêtrement de fils de fer avec des bougies. C’était une camionnette ouverte derrière, je jouais à l’épicière, il était mon chauffeur, faisait un bruit de moteur sans oublier les changements de vitesses et le klaxon fait avec une vieille trompète. 

       Personne n’avait de pouvoir sur lui et cela a duré toute sa vie. Le grand-père le détestait à cause de ça, son autorité légendaire ne servait à rien.

       A quatorze ans, après le certificat d’étude primaire, il est parti travailler dans une grosse ferme du coté de Prayssac, un vigneron qui avait deux fils, n’a pas voulu le garder car il dévergondait trop ses enfants. De très nombreuses années plus tard, j’ai revu cette ferme, ferme devenue ‘château de la Grèze’. Les deux fils sont devenus riches, leur cru de vin de Cahors est très connu.

    Mon frère Jean, de dix-huit ans mon aîné, c’est marié jeune ce qui fait qu’à deux ans de demi j’étais déjà tante, puis tous les deux ans d’autres arrivaient. Ils venaient de temps en temps passer un dimanche à la maison, ma mère faisait souvent un gros poulet à la cocotte et la célèbre ‘‘anguille’’, c’était un gâteau aux pommes cuit en rond dans la tourtière sous la braise, copieusement arrosée de marc.

     J’aimais ces dimanches-là, au lieu d’être la petite sœur, je devenais la ‘‘grande’’, je surveillais ces petits et j’initiai Marie-Claude à mes jeux, à l’intérieur du gros buis, la cabane était naturelle. Simon ne s’intéressait pas à la marmaille, il préférait écouter les bavardages des adultes, ce qui m’arrangeait beaucoup.

     

     Un jour, mes neveux et moi étions réunis, sous la sapinette, tout près de la petite mare à canards, Marie-Claude tenait absolument à jouer au bord de l’eau, je ne voulais pas, c’était trop dangereux, les petits pourraient tomber dedans. Elle a tellement insisté que j’ai fini par accepter et ce qui devait arriver arriva: Georges tombe dans l’eau. Marie-Claude court vers la maison en appelant sa mère, pendant ce temps, j’entre dans la mare et sort mon neveu de l’eau, quand ma belle-sœur est arrivée, il était déjà sorti, Jojo en pleurs, dégoulinant d’eau boueuse. Sa mère a pris une grosse colère contre moi, probablement parce que j’étais la plus vieille, pour avoir joué trop près de l’eau et ainsi avoir pris des risques inutiles. Je lui en ai voulu très longtemps de cette immense injustice: je ne voulais pas jouer à cet endroit, de plus, j’ai rapidement sorti le petit de l’eau, il n’aurait jamais pu tout seul. Marie-Claude, que j’estimais responsable, s’en est sortie avec les honneurs pendant que j’étais bannie !

     

     Avec mon sauvetage non reconnu, ma gloire méprisée et piétinée, j’ai ruminé ma rancune contre ma belle-sœur qui, décidément ne comprenait rien, pendant bien des années.

    Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai pu enfin lui pardonner…

     

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