• 10 Le Guynou

        Nous avions une voisine, Adrienne Bayle, elle était une femme-enfant, incapable de prendre une décision seule, toujours à quémander l'approbation des autres. Elle était fille unique, ses parents étaient probablement riches, (riches mais avares), car dans ses bâtiments, il y avait une grosse voiture des années 1940, cachée sous une bâche, un délice pour les collectionneurs. Ses parents sont morts dans les années 50, elle s'en n'est jamais remise. Quand je l'ai connue, elle était "toute seule avec son Guynou" (disait-elle). Elle était divorcée, dans ces années-là, c'était une tare, un très grand déshonneur. Mais elle avait son permis de conduire et possédait une 4 chevaux renault. 

    Je me souviens d’un rapide voyage à Lourdes que nous avons fait, Adrienne, ma mère, Guy et moi dans la petite auto. Visites de la Basilique et naturellement de la grotte. Comme je l’explique dans « La dame de l’église », je n’étais pas une grande assidue de la religion aussi, l’apparition éventuelle de la Vierge me laissait sans effets. Munis d’un cierge, dans une queue de 200 mètres pour accéder au rocher,  la plupart des gens priaient, moi, j’avais mieux à faire: je regardais le personnel vaquer à leur travail. C’est là que j’ai découvert leur supercherie: devant la Vierge, on pouvait allumer le cierge et le déposer devant. En théorie seulement car  le support des cierges étaient toujours rempli et on priait les pèlerins de déposer leur bougie sur un chariot, il serait allumé plus tard. Un homme est venu chercher le chariot plein, aussitôt remplacé par un vide. Où est allé le chariot plein ?  Juste à côté des vendeurs… Ainsi le même cierge était vendu des dizaines de fois, c’était fait si ouvertement que personne ne le remarquait. Enfin, après un temps d’attente infini, nous arrivons près du rocher où coule une eau claire, fraiche et limpide: la bonne eau des Pyrénées.  Ma tête, toujours en rêveries, fut brusquement enfermée dans un étau qui m’a obligée à poser mes lèvres sur le rocher humide. Un femme inconnue me tenait prisonnière et m’intimait d’ordre d’embrasser le « Saint endroit ». Quand elle m’a enfin lâchée, je l’ai longuement fusillée du regard ! De quoi se mêlait-elle cette morue !!! Ma mère elle-même ne m’aurait pas ainsi humiliée, je la cherchais du regard, elle n’avait rien vu…

       Son fils, Guy Dantonny, avait deux ans de moins que moi, il a était le compagnon de mes jeux d'enfants, c'est avec lui que j'ai joué au papa et à la maman. Nous nous donnions quelque fois rendez-vous pour aller ensemble à l'école et les secrets allaient bon train. Nous nous retrouvions aussi dans les bois et les champs, car il gardait, lui aussi, une quinzaine de brebis toujours très maigres, car sa mère avait peur de tout, qu'il se perde où qu'il se blesse; donc il rentrait trop tôt, les brebis ne mangeaient pas suffisamment. Moi au contraire, je traînais toujours, profitant de cette liberté hors du regard et des reproches de ma mère. Je tentais de lui apprendre mon amour pour les arbres. Il mettait de la bonne volonté pour me plaire, mais à peine à deux mètres de hauteur, il redescendait en disant: « -Si ma mère me voit, elle va me gronder ». Sa mère le grondait, la mienne m'engueulait, ça faisait une grande différence. 

       Le gros problème, c'était qu'il ne fallait pas mélanger les troupeaux, ça les excitait ce qui les empêchait de manger et pour les séparer, c'était la croix et la bannière. Très occupés à nos jeux, je les ai perdues souvent, heureusement la chienne m'aidait à les retrouver et elles sont souvent rentrées seules à la maison: elles connaissaient tous les chemins. Mais le plus sérieux, c'était de les retrouver dans un champs de blé ou de maïs des voisins. C'était très grave, il fallait que les parents aillent présenter des excuses. On respectait le bien d'autrui.

    Ma mère avait eu bien du mal à acquérir un troupeau de brebis. Avec mon père de plus en plus souvent malade, il était bien difficile de produire de quoi vendre pour avoir des revenus. Elle avait rencontré un négocient qui lui a fourni une quinzaine de brebis et un male, lui, il en restait propriétaire et elle était payée pour son gardiennage chaque année en agnelles. Ainsi, au bout de quelques années, elle a eu un beau troupeau bien à elle et pouvait enfin vendre quelques agneaux… 

     Ceci me rappelle une histoire que j’ai entendue je ne me souviens plus où: Une femme avait été gravement blessée en sautant d’un talus pour échapper au bélier qui avait décidé, ce jour-là, de la charger. Elle avait un nourrisson d’à peine trois semaines. La famille décida donc de lui donner des biberons de lait de vache, lait unanimement utilisé pour remplacer le lait maternel. Mais le bébé ne supportait pas ce lait, il rendait tout et dépérissait. On décida alors de lui donner du bouillon de carottes, il le supportait bien mais ne grossissait pas et même maigrissait toujours. La famille était au désespoir ne connaissant pas de nourrice dans les environs,  lorsqu’une très vieille femme, toute petite et menue, marchait pliée en deux avec sa grosse bosse dans le dos. Elle examina le nouveau-né et en levant son bâton s’écria:

    - Mais bonsoir de bonsoir, il n’y a pas d’autres laits dans les environs? : du lait de truie, de chèvre, de brebis ou d’ânesse ? … Donnez-lui du lait de n’importe quoi…. Alors on lui donna du lait de chèvre qu’il refusa mais accepta le lait de brebis.

    L’enfant avait failli mourir à cause d’un bélier mais fut sauvé par les brebis.  

     

     Guynou était très gâté, il obtenait de sa mère tout ce qu'il voulait, il s'ennuyait ferme et me demandait souvent d'aller chez lui, mais convaincre ma mère n'était pas simple, alors Adrienne intervenait elle-même, disant à ma mère qu'elle avait besoin de moi pour divers travaux, ma mère n'était pas dupe mais elle aussi demandait parfois de l'aide. Alors Guy et moi montions dans la 4 chevaux et nous allions à Villefranche, Sauveterre et parfois à Villeneuve mais là, il fallait partir le matin. Ils avaient des connaissances là-bas et nous mangions chez eux. C'était pour moi une grande sortie, l'allais rarement manger chez des gens, et je ne savais pas bien me tenir, mais Adrienne n'était pas très fine non plus, elle mastiquait la bouche ouverte alors j'oubliais bien vite, d'autant plus qu'il y avait un garçon de notre age et, accroupis dans un coin, nous nous racontions quelques secrets. 

       Un jour Guy était absent à l'école, le maître me demande d'aller voir pour en connaître la raison. Je vais donc chez lui, en effet, il était très malade, trempé de sueur sous un tas d'édredons, il avait presque 42° de température, un gros mal au ventre, le docteur était venu, Adrienne se tordait les mains. Plus tard, j'ai appris que le docteur voulait le faire opérer d'urgence de l'appendicite mais sa mère a refusé prétextant qu'il préparait son certificat d'étude et qu'il se ferait opérer après l'examen. Par malheur pour lui, le docteur a cédé. Une semaine après, il allait beaucoup mieux et a repris l'école. Mais de temps à autre, il avait mal au ventre. Alors sa mère a consulté une guérisseuse-rabouteuse-sorcière qui lui prescrivait des tisanes à base de "plantes rares" donc très chères, tous les mois ils allaient à sa consultation et Adrienne se délestait de beaucoup d'argent. Ça a duré cinq ans.

           

    Ces pratiques paraissent aujourd'hui aberrantes, à cette époque, elles étaient extrêmement courantes.   Quelques années plus tard, j'habitais à Prayssac dans un petit appartement avec mes parents. Voilà qu'arrivent Adrienne affolée et Guynou plié en deux, ils avaient consulté un vrai médecin qui lui a prescris une analyse de sang en urgence et il venait se reposer chez nous en attendant le résultat. Nous l'avons fait coucher dans mon lit, il souffrait terriblement. Le résultat a été si inquiétant que le docteur lui-même est venu l'annoncer, accompagné d'une ambulance, il fallait opérer en extrême urgence.

     

    A la clinique de Villeneuve, il a été opéré trois fois en quinze jours, puis il est mort, empoisonné par une appendicite-péritonite à l'age de dix sept ans. Pauvre Adrienne, elle est restée encore trente ans avec, non seulement le chagrin de la disparition mais aussi le remord pour l'avoir provoquée.

       C'est peut-être pour ça que j'ai une grande méfiance à l'égard des médecines dites "douces". 
       Le Guynou avait reçu (?) un don, le don d'arrêter le feu, d'une vieille femme qui n'avait pas d'héritier. Au début il n'osait pas l'utiliser mais un jour, un chien c'est brûlé avec une braise de châtaigner qui lui a sauté sur le cou. Sans hésiter, Guy a fait le nécessaire pour arrêter le feu sur ce chien qui s'est calmé immédiatement. Ensuite, il pouvait sans crainte l'utiliser sur les humains, je n'ai jamais eu l'occasion de vérifier ce savoir.

     



    . .

    « 09 Les tantes11 La complainte du cochon »
    Partager via Gmail Yahoo!

  • Commentaires

    6
    Mardi 28 Mai 2013 à 08:18

    Chère Petite Jeanne... je lis doucement mais sûrement tes souvenirs d'enfance et j'en suis-là, mais pas las, ce matin. Une enfance difficile parsemée de petits et grands drames. L'histoire de Guynou est terrifiante et particulièrement émouvante sans doute pour toi... mais néanmoins, tu la racontes avec une certaine " froideur "...  à croire que ton enfance t'as blindée, que cette armure te protège pour le reste de ta vie... je continue doucement la lecture de ton récit... à plus  !

    5
    marmota
    Mardi 13 Novembre 2012 à 23:25
    mois aussi je me souviens. je me souviens quand il nous a quitté. c 'était aussi un peu mon ami. je n ai pas pleuré sa mort. mais un jour que ´j'étais chez mémé je suis allé chez lui et adienne m'a montré son petit agneau qu'il aimait beaucoup. alors,là j'ai pleuré beaucoup. Je me souviens d'un retour de villeneuve,vous vous étiez arrêtés à la maison. Je crois qu'elle avait une dauphine.
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    4
    Mardi 22 Avril 2008 à 20:29
    tout le plaisir est pour moi, merci Kawet
    3
    Mardi 22 Avril 2008 à 19:53
    Grâce à toi je viens de replonger dans ma petite enfance... Oui ce tableau avec ces deux enfants était chez ma grand-mère, waouh une cascade de souvenirs des plus touchants me viennent à l'esprit. Tu peux pas t'imaginer le bien que ça me fait! Un grand Merci... Très touchant ton blog!
    2
    Dimanche 20 Avril 2008 à 19:16
    ça y est, je viens de trouver comment répondre aux commentaires!
    Oui, je me doute que tu te souviens...
    1
    Jeudi 17 Avril 2008 à 21:38
    je me souviens de guynou,
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :