• A mon ami le Bouvier...

    (Suite de l'article de la semaine dernière) …


    Petite-Jeanne, venant de relire l'histoire de votre enfance et de votre jeunesse, j'ai éprouvé le besoin d'ajouter quelques commentaires à ceux que j'ai déjà fait.

    Il ne faisait pas bon dans nos campagnes, à l'époque de notre jeunesse, c'est à dire il y a une soixantaine d'années, de devoir aller gagner sa vie "chez les autres", comme l'on disait chez nous.

    Vos frères, dont vous me parliez dans votre mail, ont sans doute, comme moi, été loués dans les fermes très jeunes. Il y avait bien quelques bonnes places dans les fermes, mais aussi des mauvaises.

    En général l'ouvrier agricole ne bénéficiait pas d'une grande considération. Il accomplissait les travaux les plus pénibles et était souvent mal payé. Et les journées, surtout à la belle saison, étaient interminables.

    Les filles des familles déshéritées qui, en grandissant, devenaient des "servantes" de ferme étaient plus exposées que les garçons, car chez nous aussi il y avait aussi des Léo. Et de tout poil.

    Devenir fille-mère c'était hériter d'un lourd fardeau, moral surtout, généré par la bêtise et la lâcheté. Quant à l'enfant "le bâtard", comme se plaisait à ricaner les imbéciles, il n'était pas mieux loti. La connerie, mère de toutes les haines, a toujours été sans limites.

    On ne peut pas raconter à n'importe qui ce qu'à été notre jeunesse, nous les enfants de familles nombreuses et pauvres de cette époque, sous peine de voir poindre une lueur d'incrédulité dans le regard de notre interlocuteur, même chez des personnes de notre âge qui n'ont pas vécu à la campagne. J'en ai fait l'expérience.

    Puisque vous avez parlé de la pâtée préparée pour le cochon, je vais vous raconter une petite histoire. J'avais 16 ou 17 ans et étais placé en qualité de bouvier (ouvrier agricole) dans une ferme dont le patron, un homme de haute taille et très autoritaire, m'impressionnait, me terrorisait presque. Il ne m'adressait la parole que pour me commander ou me faire quelque observation. Malgré tous mes efforts pour bien faire, je n'avais jamais droit au moindre mot d'encouragement. Même à table son comportement ne variait pas. Il était assis en face de moi et sa façon de me regarder me gênait à un tel point que je me levais de table avec la faim. J'avais pourtant un appétit d'enfer.

    De temps à autre mes patrons me commandaient de préparer la pâtée du cochon. Cela se passait dans un cabanon situé près du bâtiment principal de la ferme. Dans un grand récipient en fonte sous lequel je faisais du feu, cuisaient des grains de blé et des pommes de terre. J'attendais avec impatience que le tout soit cuit à point et me régalais avec des tubercules. A l'abri du regard de mes employeurs, j'en mangeais à satiété. Je recommande à ceux qui n'ont jamais goûté à ce mets de le faire. Le grain donne à la pomme de terre une saveur exquise. Cette pâtée n'avait certainement rien à voir avec celle que vous offriez à votre cochon.

    Je ne terminai pas la deuxième année dans la ferme dont je viens de parler. Un jour le patron fit déborder le vase en me laissant entendre que les boeufs avec lesquels je labourais étaient plus importants que moi. Grâce à mes plaintes réitérées auprès de mes parents et des renseignements qu'ils avaient recueillis, je pus enfin quitter cet employeur.

    Voilà Petite Jeanne, je pourrais de la sorte corroborer la plupart de vos dires (nos pays d'origine ne sont pas si éloignés l'un de l'autre) et y ajouter des anecdotes. Vous avez très bien fait de raconter ce que vous avez vécu, d'autant que vous le racontez bien. Ne soyez pas complexée par vos fautes de français et d'orthographe, car tout le monde en fait plus ou moins. Nos connaissances nous permettent de faire honneur au certif et à ceux qui nous l'ont fait obtenir. L'on aurait jamais dû supprimer ce diplôme auquel il fallait redonner la "consistance" voulue par Jules Ferry.

    Ne soyez pas gênée d'avoir parlé de vos blessures car ce sont les vôtres. Nous en avons tous plus ou moins et n'avons pas toujours le courage de les montrer. Et si l'écriture vous aide à guérir, tant mieux.

    Votre mère vous aimait certainement autant que ses autres enfants, mais les charges qui pesaient sur elle "écrasaient" ce sentiment universel. Sans doute qu'au fond d'elle-même en souffrait-elle beaucoup, comme vous avez souffert de l'affrontement de sentiments contradictoires.

    Puissiez-vous un jour déposer définitivement le fardeau constitué des séquelles de ce conflit.

    N'avez-vous jamais pensé à faire publier vos textes sous forme de Mémoires?

    Pour terminer, je vous livre l'un de mes poèmes intitulé "A MON AMI LE BOUVIER" que j'ai écrit en hommage à ceux qui autrefois ont partagé mon labeur. Cela a été plus ou moins fait pour toutes sortes de travailleurs, mais je ne me rappelle pas avoir lu quelque chose à propos de l'ouvrier agricole. 

     

    A MON AMI LE BOUVIER

    Sous le soleil ou dans la froidure,

    Avec ses mains rugueuses et cornées

    La tâche du bouvier était rude

    Et longues ses journées.

    Ses boeufs, des Aubrac à la robe fauve

    Ou bien des Salers au pela acajou

    Étaient, dès que brillait l'aurore,

    Ses compagnons unis sous le joug.

    Quand avril sur la vaste planèze

    Répandait enfin lumière et douceur

    Et que l'épaisse couche de neige

    S'était réfugiée sur les hauteurs,

    Le bouvier retournait la terre

    Arrachée au volcan par l'érosion;

    Le soc raclait souvent la pierre

    Et des bêtes faisait trembler le front;

    L'alouette se perdait dans les cieux

    En jetant ses notes aux quatre vents;

    La sueur perlait au flancs des boeufs

    Et le sillon était droit et luisant.

    Quand le soleil allait se coucher,

    Le bouvier abandonnait l'ouvrage,

    A la ferme lentement il rentrait

    Aussi fourbu que son attelage.

     

    Avec ces modestes phrases

    Et avant que mon chemin s'achève

    J'ai voulu te rendre hommage,

    Bouvier mon compagnon de naguère.

    Mes mains comme les tiennes

    Par le manche de l'outil sont déformées,

    Mon dos et mes hanches se souviennent

    De la faux qu'il fallait de l'aube au soir pousser.

    NB: En Auvergne, une planèze est un plateau de lave sur lequel les millénaires ont répandu de la bonne terre. Dans mon texte, il s'agit de la Planèze de Saint-Flour. (Pierrou de Cantal)

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    à suivre...

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  • Commentaires

    13
    marmota
    Mardi 13 Novembre 2012 à 23:16
    j aime!!...
    12
    monique
    Mardi 13 Novembre 2012 à 23:16
    J'ai été touchée en lisant votre histoire, je n'ai pas eu une enfance difficile, je n'ai pas connu la pauvreté mais mes parents parlaient de leur propre enfance comme vous le faite si bien...Continuez à nous raconter vos souvenirs, je suis certaine que bien des jeunes d'aujourd'hui les liront et en tireront des leçons.
    11
    Lundi 12 Mars 2012 à 16:47
    J'ai aimé vous lire !
    Bravo ! pour ce merveilleux poème
    10
    Dimanche 4 Mars 2012 à 18:15
    Bonjour Petite-Jeanne. Félicitations à ce Monsieur qui écrit très bien et à son joli poème. Je regrette de n'avoir pas pris le temps de noter tout ce que me racontait ma mère de sa vie dans une famille pauvre de 8 enfants. Bisous
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    9
    Samedi 3 Mars 2012 à 22:31
    Bonsoir Petite Jeanne,
    Passes un bon week end.
    Ici il est bien printanier.
    8
    Jeudi 1er Mars 2012 à 14:09
    Bonjour Petite Jeanne,
    J'aime beaucoup ce poème.
    Bonne journée ici plus que printanière.
    7
    MIC
    Mercredi 29 Février 2012 à 09:34
    bonjour

    vite de votre blog interessant avec de beaux textes
    sympa
    6
    Mardi 28 Février 2012 à 18:30
    Bonsoir Petite-Jeanne.
    Je ne vois pas ce que l'on pourrait ajouter après des histoires vécues aussi fortes, et des hommages aussi appuyés. Bravo à vous, à votre compagnon ainsi qu'à Pierrou du Cantal
    Bonne soirée.
    5
    Mardi 28 Février 2012 à 13:22
    superbe poème , et billet instructif bonne semaine bizzzzzzzzzzz
    4
    Mardi 28 Février 2012 à 07:50
    coucou petite jeanne
    c'est tres beau . bravo !
    bonne journée ! bises
    3
    Lundi 27 Février 2012 à 18:37
    Ces témoignages sont importants pour nous et les générations futures. Une amie en Périgord, je ne sais plus pour quelle association, est allée en recueillir autour de chez elle. Elle enregistrait les gens puis couchait tous ces souvenirs par écrit.
    2
    Lundi 27 Février 2012 à 14:14
    Bonjour Jeanne,
    Un bien bel hommage que te rends ce monsieur !
    Je ne pense pas que ce soit de l'incrédulité car pas une seconde je ne doute que vous ayez vêcu cela mais plutôt je dirais un sentiment de malaise de savoir qu'il y a seulement quelques décennies les enfants aient pu vivre une enfance aussi malheureuse ! Est-ce que les parents étaient fautifs, je ne le pense pas non plus ! Je crois qu'ils n'avaient hélas pas le choix ! Très bonne journée. amitiés. marie
    1
    Lundi 27 Février 2012 à 13:11
    Superbe !
    Merci de nous avoir offert ces mots & ce poème ..
    St Flour des souvenirs encore présents dans ma tête (en gare de St Flour ,mon père évadé "prisonnier de guerre" débarquait ).
    Bonne semaine
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