• 22 L'usine Vireben

       La vie à l'usine aussi était très différente de ce que j'avais connu; je n'étais plus seule avec une patronne, j'étais avec des femmes de tous âges, dans une immense salle chauffée l'hiver grâce à de grands poêles à charbon, cette chaleur servait aussi à faire sécher les pièces en productions. Il y avait plusieurs salles de travail: le brossage (où j'étais), l'émaillage, les presses, le séchage, les fours à cuire, les machines à faire la pâte, le contrôle, le magasin, les bureaux... Une centaine de personnes travaillaient là. Nous étions équipées de brosses rondes qui tournaient, on passait les pièces une à une dessous pour ôter les bavures et la poussière était aspirée par un tuyau, tout un appareillage qui fonctionnait à grand bruit avec l'aide de vieux moteurs et un grand nombre d'énormes poulies. Un homme, surnommé Toto (je n'ai jamais su son nom), nous fournissait les pièces posées sur des planches ou des clayettes, puis après nettoyage, étaient posées dans des cagettes. Le travail était monotone et le bruit nous empêchait, heureusement, de trop bavarder et je ne parle pas de la poussière que nous respirions malgré les aspirateurs. Nous étions surveillées par un contremaître, qui s'appelait Boutarel ( nom qui, en occitan signifie champignon), c'était un homme petit et trapu, vêtu d'une vieille blouse grise, il râlait tout le temps.

        Cette usine appartenait à Monsieur P... C'était un homme très pieux, il faisait des signes de croix toute la journée et quand il nous voyait partir en cyclomoteur, nous bénissait discrètement. Il avait plusieurs enfants mais à ma connaissance deux fils, il espérait les faire entrer dans les Ordres, a réussi pour l'un qui est devenu l'abbé P... (pour éviter le "curé P...!") et le plus jeune, Philippe, le rebelle, a catégoriquement refusé aussi il a été tout désigné pour prendre la suite de l'entreprise familiale. Je l'ai connu, il n'avait pas 30ans, tout frais sorti de bonnes écoles, il était très timide, rougissait facilement, il a d'abord remplacé monsieur Boutarel qui partait à la retraite, puis peu à peu c'est imposé, il n'était pas sévère mais a su gagner l'estime de chacun et il était respecté. A l'occasion de son mariage, il a donné une réception dans le réfectoire, tout le monde était gêné, le silence un peu lourd, car à cette époque, on ne mélangeait pas les torchons et les serviettes.

       Il y avait donc un réfectoire, à disposition des ouvrières et ouvriers qui habitaient trop loin. A onze heures, une fille était désignée pour allumer le poêle et faire chauffer les gamelles au bain-marie, et c'est là que j'ai fais la connaissance de mes nouvelles amies: Claudette V..... avec qui j'ai échangé une correspondance amicale pendant de nombreuses années, sa sœur Bernadette, Françoise la grande blonde*, et les jumeaux Monique et Jacky (ce dernier, en 1969 a épousé ma nièce Marie-Claude) et d'autres personnes que j'ai oubliées. Elles passaient vite ces deux heures de repos, et bientôt la sirène nous rappelait.

       *(Elle nous glissait des bouts de papier dans nos poches: "Mr et Mme Javel ont une fille -Aude-!". "En ce lieu solitaire où l'on vient pour chier, la bouche doit se taire, seul le cul doit parler!". "Le Père Méable, faiseur de pluie!").

    J’habitais donc toujours à Duravel et un dimanche, ce fut la fête au village.  Bien sûr, je commençais à aller aux bals, le plus souvent avec Simon et son auto. Mais ce jour-là, il n’était pas là et André m’a autorisé à y aller seule, c’était à côté et ils devaient y aller eux aussi, un peu plus tard.

     Je cache ma mobylette à l’entrée du village, derrière le transformateur électrique (pas encore besoin de cadenas), puis je rencontre un garçon de mon âge que je connaissais un peu. Nous bavardons, il était seul aussi, alors nous faisons naturellement le tour de la fête ensemble. Une petite pluie commençait à tomber, je l’invite à m’accompagner chercher un vêtement adéquat que j’avais laissé dans mes sacoches. Autour du transformateur  électrique, il faisait sombre et là, sur la pelouse, il me fait un croche-pied et se jette sur moi pour m’embrasser. Je n’apprécie pas cette brutalité, je me défends vaillamment dans une bonne bataille, j’étais son égale en forces.  Mais au bout de quelques minutes de combat, j’ai compris qu’il était plus endurant, il le comprit aussi et entreprit de me déshabiller.

     Des miracles, il n’y en a pas, je devais réfléchir très vite et trouver une solution. Après ‘‘La victoire sur Léo’’, j’ai donc commencé la guerre psychologique (toujours en bagarre): « Si tu fais ça, j’irai à la gendarmerie porter plainte et tu iras en prison »,  « Tu ne connais même pas mon nom ». C’était vrai  mais je savais qu’il était issu de ‘‘l’assistance publique’’. « Madame Bonafous te connait » (directrice du centre social, d’où l’avantage de la vie rurale, on connait beaucoup plus de monde qu’en ville).  « Oui mais nous sommes nombreux, elle ne saura pas que c’est moi ».  « Je sais que tu as travaillé à xxx ». J’ai cité une petite entreprise d’où je l’avais vu sortir deux fois, je n’étais pas sure du tout mais il fallait bluffer.

     En plein dans la cible! Il a eu un instant d’hésitation que j’ai mis à profit pour me dégager et me lever. Il ne m’a pas lâchée pour autant mais j’ai eu le temps d’atteindre le trottoir qui était mieux éclairé et un petit groupe de personnes venaient dans notre direction, merci à eux, anonymes qui m’ont sauvée d’un viol sans le savoir: le fourbe s’est enfui.

     Maculée d’excréments, à bout de souffle et des douleurs partout, je suis rentrée à la maison bien plus tôt que ma famille. Je ne n’ai voulu expliquer ce que j’avais vécu mais le lendemain une très violente douleur à la cheville m’empêchait de poser le pied par terre.  André m’a emmenée à Sauveterre chez une rebouteuse qui a tiré fortement sur le pied jusqu’à ce qu’on entende un grand ‘‘clac’’.  Je pleurais de douleurs. « Voilà dit-elle, tout est remis en place, dans quinze jours cette belle entorse sera oubliée ! ». Et ce fut vrai (mais seulement pour la cheville).  

     

    Courage les filles, quand on a de petits biceps, il faut utiliser son cerveau !...

     

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  • Commentaires

    4
    marmota
    Mardi 13 Novembre 2012 à 23:25
    et oui Lulu nous nous sommes connus là ton père et moi. C'etait dur le travail, travailler au rendement nous faisait un petit plus, mais un grand plus pour le patron. J'ai connu ces filles aussi et pour aller plus vite Bernadette et sa soeur chantaient des chansons que nous reprenions toutes en choeur et quand il y avait des visiteurs Philippe nous disait de continuer
    3
    Jeudi 24 Avril 2008 à 21:14
    ça me fait drôle ! C'est bien ce qu'il me semblait !
    2
    Mercredi 23 Avril 2008 à 19:02
    Oui en effet, non seulement ils y ont travaillé, mais c'est là qu'ils se sont connus. J'y ai travaillé avant elle, c'est donc moi qui ai connu la famille H.... la première. Bises
    1
    Mercredi 23 Avril 2008 à 18:23
    Je crois que ma maman et mon papa ont ravaillé là . . . ?
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