• 16 La chatte

       Nous avions une jeune petite chatte noire, nommée simplement "la Noire". Ma mère détestait cette chatte, va savoir pourquoi! .

       Il était indispensable d'avoir des chats pour chasser rats, souris, mulots et autres qui attaquaient volontiers les réserves de blés, orges, pommes de terre, betteraves, topinambours etc... Des chats donc mais surtout des chattes, car les femelles, qui ont pour mission d'élever leurs petits, doivent être plus discrètes, prudentes attentives, réservées,... efficaces en somme. Et elles le sont en effet, et ceci est valable pour de nombreuses espèces animales et peut-être nombre de femmes aussi, les assureurs l'ont bien compris. 

       Nous avions une chatte qui élevait ses petits avec un dévouement exemplaire et quand les chatons avaient atteint l'age de quitter leur mère (age estimé par elle-même), elle partait en leur compagnie et revenait seule une semaine après. Il était clair qu'elle voulait vivre seule à la maison. Nous avons enquêté auprès des voisins, personne n'a jamais su où elle allait les perdre. Pour avoir une deuxième chatte, il a donc fallu adopter un chaton trouvé. Ce chaton trouvé était la Noire. La Noire avait peut-être subi le même sort que les chatons de notre chatte, elle était très méfiante envers nous, elle refusait de se laisser attraper et même approcher à moins de cinq mètres. Pourtant, elle faisait bien son métier et souvent, le soir ou la nuit, nous avions droit à une superbe "sarabande" dans le grenier car il y avait des épis de ¨maïs qui attiraient les loirs. 

       Il n'empêche que ma mère ne voulait plus de la Noire et elle a décidé qu'il fallait la tuer. L'expression "étrangler le chat sans le regarder" n'a jamais été si bien appropriée. Elle a d'abord demandé à mon père qui a refusé. Elle a réussi à la piéger dans une caisse je ne sais comment mais, l'attraper et la tuer, c'était une autre histoire mais elle a eu la plus sordide des idées: la noyer. Il y avait une citerne réservée aux animaux qu'avait construite mon grand-père, elle mesurait environ cinq mètres en largeur, longueur et hauteur, était recouverte de grillage. Il y avait environ un mètre d'eau mais divers objets avaient fini leur course au fond. Ma mère a jeté la Noire dedans à mon insu. 

    Le soir, j'ai entendu une sorte de plainte, longue, lugubre et monocorde que je n'arrivais pas à identifier. Comme je posais la question, ma mère me dit: « -Tais toi et mange ta soupe! ». Je me suis tu mais j’avais de plus en plus envie de savoir. Après dîner, je m’éclipsais, j’écoutais attentivement en faisant le tour de la maison, je n’entendais plus rien.

       Le lendemain, à nouveau cette sinistre plainte me faisais frissonner. Très discrètement, je décidais de tout examiner jusqu’à la citerne; la Noire était là, les pattes arrière dans l’eau, posées sur un objet, les pattes avant contre le mur, seule sa tête sortait de l’eau, usant ses griffes inutilement. Je l’ai appelée, elle m’a fixée avec un regard!... et a poussé un long cri de détresse on ne peu plus explicite "Pitié, sort-moi de là".

       J'ai couru tout azimut  auprès de ma mère: « -Maman, maman, la Noire est tombée dans la citerne, il faut la sortir! ». « -Espèce d’idiote, c’est moi qui l’ai mise, elle va se noyer bientôt ». La discussion était close, elle retournait déjà à son travail. Je la revois encore, montant l’escalier, à cet instant, je l’ai haïs tellement fort que je n’aurais pas été étonnée de la voir mourir sur place, car la sorcellerie aidant, j’ai longtemps cru qu’on pouvait tuer par la force d’une volonté. Si j’avais possédé ce don ( si l’on peut dire) sûr que je l’aurais tuée... et plus d’une fois.

       Née à la ferme, tuer les animaux pour se nourrir, je ne l’ai jamais contesté, c’est une loi de la nature que j’ai naturellement accepté. Assommer un lapin, saigner une volaille, ça ne dure que quelques secondes mais attendre plusieurs jours qu’une chatte se noie d’épuisement, je trouvais ça intolérable.

       Mon père était absent, je tournais et retournais près de la citerne, je ne savais que faire. Ma mère, pour me changer les idées, me donnait de plus en plus de travail et si je lui reparlais de la Noire, j’avais droit à un aller-retour (deux gifles) elle avait la main leste.

       Le troisième jour, n’y tenant plus, je devais trouver une solution, quelques gifles de plus où de moins, je n’étais plus a ça près. Dans le hangar, j’ai fini par dénicher une sorte de très long tasseau, je soulevais un coin du grillage et je le glissais dans la citerne en biais. Comme je me posais la question comment j’allais le faire tenir pour m’éloigner afin de laisser le champ libre à la Noire, celle-ci a nagé jusqu’au bout du bois et avec ce qui lui restait de griffes, elle a grimpé doucement jusqu’à cinquante centimètres de ma main, jamais je ne l’avais vue d’aussi près, elle avait les yeux verts. J’essaye d’avoir une voix douce pour lui dire: « -viens, la Noire ». Et en un éclair, elle a disparue.

       Avec un immense soulagement, je rangeais le tasseau. Plus tard, ma mère a voulu savoir comment j’avais fait, je n’ai pas répondu et stoïque, j’ai reçu la correction sans baisser les yeux. 

       Victoire!. Elle a renoncé à tuer la Noire. Souvent, je m’asseyais dans l’herbe, autour de la maison, je faisais semblant d’apprendre mes leçons mais je rêvassais à qui sait quoi! enfin, activités de mon âge. Alors, si tout était bien calme, la Noire s’approchait, à pas de chat, sans bruit, et se couchait à quelques mètres de moi, alors je ne bougeais plus, je lui parlais doucement, elle me regardait. J’avais la certitude qu’elle m’offrait son amitié en remerciement du sauvetage.

       Aujourd’hui encore, lorsque Isa ou Caramel restent plusieurs minutes à me fixer, j’ai l’impression qu’ils veulent me transmettre leur amitié ce qui m’émeut presque aux larmes. Car pourquoi nous la donne-t-il cette amitié?. Un chien est un animal qui vit en meute, seul il n’est rien, il est impératif pour lui de se faire accepter par le groupe, même au niveau social le plus bas. Que la meute soit composée de chiens ou d’humains, pour lui c’est pareil. Mais les chats c’est différent, ils vivent le plus souvent seul, sauf les mères avec leurs chatons pendant le temps de l’apprentissage, puis les chassent pour revenir à leur solitude. Ce qui ne les empêche pas d’avoir une vie sociale, avec d’autres chats c’est logique mais donner cette amitié aux humains, ils pourraient très bien s’en passer. C’est un cadeau qu’ils nous font et ce cadeau n’a pas de prix.

       Le chat est un chef d’œuvre du monde animal

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  • Commentaires

    9
    Dimanche 25 Novembre 2012 à 21:02

    Cet épisode est particulièrement émouvant.  l'écriture est simple et le récit captivant.Gina du Périgord.

    8
    nini46
    Mardi 13 Novembre 2012 à 23:25
    ...mouuuais... voyons-le ainsi...
    7
    NINI46
    Mardi 13 Novembre 2012 à 23:25
    De tous tes récits, je pense que c'est celui-ci qui m'a le plus marquée, d'une part parce que j'adore les chats, d'autre part, parce que l'auteur de cet acte barbare était... ma Grand-mère maternelle (comme tu le sais)... Il faut un peu de perversité je pense pour être capable d'un acte pareil, sans vouloir juger...
    6
    Vendredi 22 Octobre 2010 à 21:00

    Merci Rima...

    5
    Vendredi 22 Octobre 2010 à 18:51
    Bonjour ,j'ai lu pas mal d'épisodes , j'ai pris à l'envers , j'ai bien aimé ,la vie n'est pas toujours facile ,mais tu avais une bonne copine et vous vous êtes éclatées..vous avez vécu de bons moments ...j'ai regardé les photos et j'ai reconnu pleins d'endroits ou je suis allée et tout dernièrement Saint Robert et Bourdeilles.....bonne fin de soirée ..
    4
    Mardi 22 Septembre 2009 à 11:10
    Jean-Henri Fabre, qui avait été élevé à la campagne, disait déjà qu'il ne savait pas d'où lui venait cet intérêt pour les animaux alors que ceux-ci étaient indifférents aux paysans.
    3
    Vendredi 9 Mai 2008 à 08:22
    Il faut relativiser. Non que je veuille la défendre mais l'affectivité que nous avons envers les animaux est très récente. A cet époque l'animal était plus considéré comme un "bien" qui avait sa fonction,  les gens considéraient qu'ils avaient le droit de vie ou de mort sur eux sans avoir à se justifier. Avec "perversité", celà signifirait qu'elle voulait la tuer que pour un "plaisir"  morbide. Je pense qu'elle avait d'autres raisons, raisons que je n'ai pas comprises.
    2
    Mercredi 30 Avril 2008 à 12:23
    Merci de ta visite. Je ne suis pas sure que la cruauté n'existe plus, mille fois hélas!
    1
    Mercredi 30 Avril 2008 à 12:12
    en lisant ton recit ca confirme bien que les gens de cette epoque avaient vraiment de la cruaute envers les chats et les animaux en general. Heureusement que ca n'existe plus il y a des lois maintenant! Merci a toi de m'avoir visité et tu es toujours la bienvenue. Bonne journee! David
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